Le 19 octobre dernier, une bombe est lancée sur le rap game. Marshall Mathers, citoyen américain plus connu sous le nom d’Eminem, sortait « Campaign speech ». Une bombe musicale avec des répercussions outrepassant le cercle bien fermé du rap. Sur une instrumentale sobre, timide, voire inexistante, avec un flow dévastateur et une écriture plus qu’efficace, Slim Shady s’attaque au sujet des élections présidentielles et donne son avis propre. Il se place comme un candidat rêvant de son élection pour se moquer de la politique et de la tournure des événements actuels.
Comme à son habitude, le rappeur américain ne mâche pas ses mots. D’Edward Norton à Ben Stiller, en passant par Robin Thicke, de nombreuses personnalités en prennent pour leur grade. Mais là où le rap se politise, c’est lorsqu’Eminem se positionne clairement contre Trump bien qu’il aurait entretenu une bonne relation avec ce dernier auparavant. Menaçant d’abord de noyer les supporteurs du candidat républicain « I’mma dunk a bunch of Trump supporters underwater. », il tape ensuite sur le « très dangereux » Trump. « You should be affraid of this dang candidate », prévoyant la catastrophe que serait son élection à a tête du pays. Le texte se positionne donc comme une diatribe virulente à l’égard du magnat de l’immobilier. Em’ y utilise sciemment la violence du rap pour faire valoir son opinion politique concernant les élections présidentielles. De plus, le morceau porte tout un passage sur les violences policières envers les noirs, où encore une fois le rappeur n’y va pas de main morte. Mentionnant George Zimmerman et Daniel Pantaleo, deux policiers coupables d’avoir tués deux noirs, il les attaque et les menace ouvertement. Il se place ensuite aux côtés du mouvement contemporain emblématique de la cause noire « Black Lives Matter ».
Ces prises de positions ne sont pas sans rappeler les antécédents du rappeur de Détroit. Fervent opposant de l’ancien Président Bush, ses morceaux n’épargnaient pas sa politique à l’époque. Mosh sur l’album « Encore » en 2005. « White America » issue de « The eminem Show « en 2002. Lequel avait même été censuré un temps pour la violence des paroles. En outre, Eminem s’était toujours placé comme le représentant d’une génération américaine sacrifiée, désillusionnée et déçue, utilisant comme tremplin ses différents albums et la véhémence de ses punchs. Une fois de plus ici, Shady se fait le porte-parole agressif et sans retenue de ceux qui ne s’expriment habituellement pas.
Le lyriciste nous montre donc que le rap peut et doit s’engager. Autant sur des sujets de politique pure que sur des questions de société. En effet, qui de mieux qu’un rappeur écouté par des millions de personnes pour passer un message ? Qui plus est lorsque ce dernier est issu d’un milieu nettement défavorisé des Etats-Unis ? Entre drogues, pauvreté et violences, Marshall en a suffisamment vu pour écrire et dépeindre une société qu’il hait. Il suffit pour s’en rendre compte d’écouter The Marshall Mathers LP, classique sorti en 2000. Textuellement, Shady oscille entre haine et dégoût pour une société qui l’a rejeté durant toute sa vie. Cet album, très sombre (Kim, Marshall Mathers, Kill you ou l’excellent The way I am), a été en partie censuré en Grande Bretagne pour la violence de ses paroles et de son message. En revanche, les critiques étaient unanimement positives en raison de l’ambiance froide qui y règne et l’effrayante vérité à laquelle Em’ nous confronte de force. Alors, avec lui, nul doute que concilier un rap – violent – qui plaît avec une écriture intelligente et engagée n’est pas de l’ordre de l’idéalisation du genre musical. Quelque peu unique dans son style, Eminem s’est forgé une place à part dans le rap. Notamment grâce à un engagement qui parcoure ses textes sur le temps long.
Bonne nouvelle, en publiant « Campaign Speech », Eminem nous annonce la venue d’un nouvel album pour bientôt. Stay tuned, d’autant plus qu’un son est déjà prévu pour le 8 novembre. Avec pour titre… « Election Day ».
-Vincent Colin.