Beyonce féministe, oxymore ou pléonasme?

C’est sûrement la question la plus posée à son propos, excepté celle de la sortie d’un nouvel album. Beyoncé est-elle féministe ? Pourquoi continuer à noircir des pages sur cette question qui divise, dérange et intrigue ? Il ne s’agira pas nécessairement de trancher par cet article, mais d’examiner les arguments et contre-arguments, de manière non-exhaustive bien sur. 

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On voit arriver de loin la critique des « pures » et dures féministes, quasi caricatures de la féministe-poil aux aisselles, qui, avec une moue dédaigneuse, s’offusquent face à la Queen-B en body ultra-moulant : « elle véhicule l’image d’une femme objet, un objet sexualisé au maximum ». Les plus pointues, en décortiquant ses textes et interventions, lui assènent une critique argumentée. Comment être féministe en jouant d’une scène de violence conjugale entre Ike et Tina Turner dans Drunk in love (Eat the cake Anna Mae/Said Eat the cake Anna Mae) ? ». Ou en encore, « Comment y croire lorsqu’elle choisit d’appeler une de ses tournées par son nouveau patronyme de femme mariée (The Mrs. Carter Show World Tour), relayant dans l’ombre l’identité de l’indépendante et libre Diva Knowles ? ». D’autres, plus cyniques, voient plutôt sa « passion du féminisme » comme un redoutable outil marketing. Surfant sur la quatrième vague féministe des années 2000, le mouvement donnerait une caisse de résonance à ses textes et toucherait ainsi un public plus étendu.Enfin, les plus acharnées dénoncent les conditions de travail et salaires des femmes sri-lankaises qui produisent les vêtements Ivy Park, nouvelle ligne de sportswear de Beyoncé. « comment peut-on défendre les droits des femmes et participer à leur mise à genoux ?  ironisent les plus sarcastiques.

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Bon. On en est là. Les interrogations sont réelles. Mais avant tout c’est quoi au fond, qu’être un(e) féministe. Y-a-t-il des valeurs, des normes à respecter ? On pourrait reprocher beaucoup de choses à la chanteuse, mais il faudrait tout de même reconnaître que son féminisme-guerrier a au moins eu le mérite de remettre ces questions cruciales au cœur du débat sur la scène musicale internationale. Du « Run the world girls ! », à ses allusions sur sa vie sexuelle épanouie, en passant par son majestueux sample du discours de Chimamanda Ngozi Adichie dans Flawless, le puissant message de la Diva fait rayonner une certaine vision du féminisme tout en réinterrogeant le mouvement dans son ensemble, et ce, quant à sa définition-même. D’ailleurs, sa vie pourrait bien être un modèle à suivre. Un « tuto de la bonne féministe » dont elle assume tous les éléments. D’abord, une émancipation (et si c’est d’une tutelle ou présence masculine, +10points!). En l’occurrence de son père, de chez qui elle claque la porte pour changer de manager et se sentir libre dans ses choix artistiques. De Jay-Z aussi, en sachant lui pardonner son infidélité tout en se débrouillant pour le lui rappeler et prendre du recul avec dignité sur la chose. Dans le titre Resentment, elle change les paroles pour attirer l’attention du public sur cette trahison. Plus récemment, l’ensemble de son album Lemonade la montre osciller entre règlements de compte, pleurs d’un mariage brisé et résistance tête haute.

Bey semble avoir le girl-power dans le sang. C’est sans doute dû à l’admiration sans limites qu’elle porte à sa môman Tina, femme noire forte qui a su la soutenir tout au long de sa carrière et vie personnelle. Mais également à la complicité sans limite qu’elle entretien avec sa sœur Solange, avec qui elle partage parfois la scène [cf. photo à Coachella]. Ou encore à la force de ses girls bands, les Destiny Child du début à son crew de tournée exclusivement féminin, les Suga Mama qui dispense leur show en 2007 lors du Beyoncé Experience. Beyonce diffuse la figure d’une guerrière amazone qui s’impose, prête à en découdre avec les discriminations, dominations, même en talons de 12 (cf. Run the world !). Une Independent Woman qui achète ses propres diamants avec ses copines, au calme. Une féminité assumée et revendiquée, voilà ce qui peut coincer avec certaines visions du féminisme. On est face à une femme, dont on s’accorde globalement à dire qu’elle est très belle, qui est elle-même consciente de ses atouts, et ce non pas comme objet sexuel ou marketing mais comme revendication d’une liberté du corps. Il n’y a qu’à voir les sulfureux Blow, Rocket ou encore Partition avec une réplique explicite de The Big Lebowski en VF qui proclame qu’aimer le sexe et être féministe ne sont pas antinomiques.

Bourdieu ou Simone de Beauvoir ont analysé les rapports hommes-femmes via les attributs (contraignants ?) de la séduction : talons aiguilles, corset, faux ongles, maquillage… Ils y voyaient en quelque sorte une preuve de la domination masculine,. Pourtant, beaucoup de femmes aiment aujourd’hui jouer de ces codes. « L’un des objectifs du féminisme est de se réapproprier son corps et sa sexualité, de l’explorer ou de la réinventer, de pouvoir affirmer une sexualité agressive, puissante, sans passer pour des salopes », estime en ce sens Marie-Hélène Bourcier, professeur universitaire spécialisée dans les « gender studies ». Le titre Pretty Hurts dénonce pour sa part l’asservissement des femmes aux diktats de beauté. Pouvoir jouer de son corps librement, et ce sans souffrir du regard des autres serait  donc bien une forme de revendication féministe. Ainsi, contrairement à nombre de ses consœurs du R’n’B, la Queen ne se contente pas d’être une belle (potiche ?) passive. Lascive peut-être parfois, mais sans corrélation avec la domination d’un sexe sur l’autre. Elle prône en ce sens une parfaite égalité dans la relation qui engage chaque partenaire, et ce avec la même intensité. L’atteste son mariage avec Jay-Z où tous deux prennent le nom de l’autre, en devenant chacun « Knowles-Carter » à l’état civil. Plus spécifiquement, pour ce qui est de sa définition du féminisme, elle est assez simple et reprend celle de Chimamanda Ngozi Adichie : « un(e) féministe est une personne qui croit en l’égalité sociale, économique et politique des sexes ».

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Beyoncé, ni soumise, ni revancharde, aigrie ou agressive mais épanouie et accomplie, déclare à propos de Flawless : « Dans cette chanson ainsi que dans ma tournée, j’ai voulu donner ma définition du féminisme. Pas par militantisme, ni pour proclamer que je suis féministe au monde entier, mais parce qu’il me semble qu’aujourd’hui encore, certains comprennent mal sa signification. Pourtant celle-ci est simple. Lutter contre les inégalités fait de vous quelqu’un de féministe, mais plus important encore, cela signifie que vous êtes humaniste ».De même, elle publie un essai intitulé Gender Equality Is a Myth !, dans le cadre d’une étude sur la place des femmes menée par Maria Shriver. Dans son texte, tout y passe : inégalités salariales, éducation genrée, etc… Elle en appelle donc à une mobilisation massive et mixte, en insistant sur ce dernier point. Enfin, elle est également engagée dans « Chime for change », avec Salma Hayek comme co-fondatrice, qui est une campagne de Gucci visant à promouvoir l’éducation, l’accès aux soins et à la justice pour les femmes, jeunes et petites filles.

Beyoncé nous donne donc de multiples illustrations de son combat et de son engagement pour la progression des droits des femmes mais, aussi et surtout, pour l’évolution des mentalités. D’abord, celle des hommes dans le sens d’une plus grande ouverture d’esprit, d’une plus grande tolérance et d’être dans un échange d’égal à égal. Mais aussi, des mentalités féminines sur la façon de se construire, de s’accepter, de s’affirmer et de s’assumer en tant que femme indépendante et moderne, sans avoir peur d’être pointée du doigt dans le sens d’un ou plusieurs stéréotypes. Alors, même si bien des critiques continuent de fuser contre la chanteuse, force est de constater qu’elle a réussi un tour de force, sûrement constitutif de son succès, qui est d’avoir remis le féminisme au cœur du débat contemporain, et sur un autre terrain que le strictement politique. Comme l’explique Kaila Adia Story, responsable du département consacré aux études de genres à l’université de Louisville et spécialiste des questions de féminisme noir : « La visibilité de Beyoncé en tant qu’artiste et icône pop a certainement ouvert un énorme dialogue sur le féminisme, et son dernier album [Beyoncé] a soulevé des questions au sein des réseaux féministes : qui peut être féministe? Comment définit-on une féministe ? Est-ce antiféministe que de dire que quelqu’un ne peut pas se revendiquer du féminisme ? ».

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De nombreuses questions qui dynamis(t?)ent un débat agité…empêchant l’oublie de la Queen-B !

-Mathilde Dieulangard

2 réflexions sur “Beyonce féministe, oxymore ou pléonasme?

  1. L’article est grv cool, c’est cohérent, la ccl est bien amenée, mais le pb c’est qu’il ne correspond pas à la promesse faite au début (pas nécessairement trancher et présenter les arguments contre et pour) le pt de vue est carrément pour, on le sent, ts les arguments appuyés par des études sociologiques et autre sont en faveur du féminisme de beyonce (la plupart Sont bien utilisé (bourdieu moyen)), mais je pense que l’article aurait été mieux si on avait eu des arguments contraires plus soutenus. Pcque du coup on peut se faire son propre avis avec tous les outils en main, la c’est trop orienté je trouve. Après il faut voir quel est le but : journalistique ou artistique ? Délivrer un point de vue ou bien de information (bien sur l’info n’est jms cpltmt neutre, mais on peut s’approcher de cette neutralité .
    J’espère que mon commentaire est clair, je l’ai pas relu haha

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    1. Ton commentaire est très clair, merci pour ton avis ! Alors oui, mea culpa j’adoooooooore Bee. MAIS je peux comprendre certains reproches (instrumentalisation du discours féministe pour surfer sur la vague par exemple). Je tenais toute fois à rappeler de nombreuses raisons qui peuvent faire penser qu’on a en face de nous une féministe et qu’il existe 1001 manières de l’être. Ma conclusion se veut être neutre, disant que quelque soit notre opinion finale, on ne peut nier que le cas-Beyoncé a contribué à faire resurgir le débat, ce qui est souhaitable à mon sens 🙂

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