Figure majeure en France d’un rap conscient qu’il a toujours habilement combiné au rap hardcore, Médine a marqué la scène française de sa voix rauque, de son flow percutant et de son goût pour le storytelling.
Ses derniers albums ont cependant marqué un certain renouveau artistique avec l’utilisation devenue banale d’instrus traps, dans le but avoué d’attirer un plus large public en « allant à l’essentiel », ainsi que la présence de morceaux plus introspectifs tels que Global ou Bataclan. Il y conserve toutefois ses messages engagés qu’il distille plus subtilement qu’auparavant. Le plus récent, Storyteller, porte ce syncrétisme à son paroxysme ; banger trap et engagement politique peuvent parfaitement s’y combiner, comme le prouve un Bangerang.
S’il était encore possible de passer à côté de Médine, les ermites du rap sont sans doute sortis de leur grotte à la faveur de polémiques discutables le concernant ces derniers mois. Ayant prévu de se produire au Bataclan en octobre 2018, le rappeur a fait l’objet d’une étude fouillée de l’ensemble de son discours musical, de la part de personnes ayant toujours considéré le rap comme un no man’s land de la musique. Ont été incriminés en particulier le morceau Don’t Laïk, dénonçant pourtant l’instrumentalisation de la laïcité, ainsi qu’une affiche d’un album intitulé Jihad, dont la polysémie a vraisemblablement échappé à ceux dont l’interprétation de la chose était déjà faite.
Ces polémiques le suivant partout, le mouvement Génération Identitaire a, peu avant le concert, déployé une banderole contre la venue de Médine, sur le toit de la salle, l’Aéronef. En dépit de quoi la sécurité n’a même pas été renforcée, alors que l’Aéronef est en pleine effervescence dans la perspective du concert.
L’Aéronef est très propice aux pogos en raison de sa configuration en fosse et est doté d’une acoustique léchée grâce à ses deux énormes enceintes idéalement placées. Malheureusement, la première partie du sétois Demi Portion peu aidé, il est vrai, par le mixage, suscite une ferveur tout à fait approximative chez ses hôtes.
Peu après une courte transition, un Médine tout de blanc vêtu et encapuché déboule sur scène devant une fosse bouillante. Celle-ci constate alors la première surprise de la soirée, en la personne d’Alivor avec qui Médine partage le même label, Din Records. Tous deux inaugurent le show avec Bangerang, son phare de Storyteller.
Médine alterne alors entre trap dopée aux infrabasses et sons plus doux, afin de ramener le calme avant la tempête. La trap est efficace, la gestuelle est parfaite, les placements sont travaillés, alors que le mix de DJ P fait de l’Aeronef une fournaise. Là où les auditeurs avertis s’attendaient à un concert de trap consciente, Médine y a étonnement privilégié les titres les plus efficaces de son large répertoire.
En témoigne le climax du concert, Clash Royale, précédé de plaisanteries sur les sombres événements d’Orly ; Médine et Alivor n’y lancent pas moins de 3 « murs de la mort », type de pogo emprunté à la culture metal mais devenu usuel dans le rap. Une bonne moitié de la fosse s’engage dans ces épreuves sanglantes. Après avoir notamment interprété Grand Paris, pogo à lui seul, Médine lance l’instant émotion du concert en invitant son fils Massoud sur Papeti. A peine arrivé sur scène, celui-ci est aussitôt backé par une fosse sous le charme.
Heureusement pour le cardio de l’auditoire, Médine clôt un concert exceptionnel avec Bataclan, particulièrement symbolique pour l’artiste en ces temps troublés.
« Pourquoi appelle-t-on ça la fosse si je n’y ai vu que des vrais? » répétera Médine une dizaine de fois en guise de conclusion, dans une parfaite communion avec le public, avant que « Global » ne s’éclipse en laissant tranquillement tourner l’instru.
📝 Rémi Descamps