Les textes de rap sont caractérisés par une abondance de références, qu’elles soient politiques, historiques, sociales, culturelles ou autres. Ainsi les références enrichissent le rap, sa culture, et participent à faire rentrer l’auditeur dans l’univers d’un rappeur. Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur une influence majeure des rappeurs depuis le milieu des années 2000 : The Wire (Sur écoute en français), série télévisée américaine créée par David Simon et Ed Burns, qui relate l’histoire d’une section de police à Baltimore, faisant face à la criminalité élevée dans une ville post-industrielle américaine au début du XXIème siècle. The Wire nous dévoile de nombreux personnages tous plus charismatiques que les autres, qui marquent pour toujours ceux qui ont visionné la série – que l’auteur de cet article vous incite très fortement à regarder – et dont certains ont su se faire une place dans le rap français, grâce au nombre incroyable de références dont ils bénéficient.
Avant de nous attarder sur les références que les rappeurs français ont fait dans leurs textes à la série et à ses personnages, il nous semble judicieux de présenter rapidement quelques figures qui ont marqué The Wire. Tout d’abord, nous avons Stringer Bell : gangster charismatique interprété par le grand Idris Elba, son personnage puissant et autoritaire correspond parfaitement à l’image que tout rappeur « gangsta » aimerait se donner. Ensuite, il y a Omar. Omar est un solitaire, craint de tous, qui inspire la peur partout où il passe. Son homosexualité le démarque des autres personnages et le rend singulier. Pour se faire une petite idée de qui il est, le visionnage de cette scène légendaire devrait suffire : https://www.youtube.com/watch?v=UmtuRRhtGQw&t=2s. Aussi, il faut parler de Marlo Stanfield, le petit trafiquant qui monte les échelons et qui tente de faire tomber les têtes unes à unes pour essayer de s’imposer dans le game. Le rapprochement avec l’ambition d’un jeune rappeur est facile à faire, vous en conviendrez. Enfin, il reste Avon Barksdale, le boss du gang pisté par les policiers. Avec son bras droit Stringer Bell, il fournit une imagerie conséquente aux rappeurs qui parlent de trafics, de fours d’assassinats et autres illégalités en tout genre.
Maintenant que les présentations sont faites, c’est le moment de rentrer dans le vif du sujet, en détaillant les nombreuses références que les rappeurs français ont fait à la série, et qui la propulsent au Panthéon des œuvres culturelles les plus citées dans le rap de l’hexagone. Attention toutefois certaines punchlines contiennent des spoilers de la série, vous êtes prévenus.
Alonzo, dans Même tarif feat Booba : « Cartel, Marlo fait feat avec Barksdale », ou comment faire un compliment à soi et à son collègue efficacement.
Alpha Wann sur Steven Seagal « Nique le stress, spliff de zeb, Steven Seagal Stringer Bell ». Toujours fidèle à ses assonances et ses allitérations, le Don rend hommage à celui qui est sûrement le personnage de The Wire le plus cité dans le rap français.
Booba est un grand fan de The Wire, il l’a dit dans plusieurs interviews, c’est donc logique qu’on y retrouve plusieurs références dans ses textes. Il confie d’ailleurs aux Inrockuptibles[1] que son personnage préféré est Omar, mais qu’il se considère plus comme « un mélange de Marlo, Chris Partlow et de Bodie Broadus ». Ainsi dans Temps mort 2.0 nous avons le droit à « Dans The Wire t’es Method Man j’suis le Grec », dans Izi Monnaie « Stringer Bell, Marlo Stanfield, Izi monnaie », et dans le classique Kalash « J’suis Marlo Stanfield ta mère la hyène t’es McNulty ». A savoir que McNulty est un flic dans la série, et que le Grec est à la tête d’une organisation criminelle très puissante.
Despo Rutti dans Convictions suicidaires, nous sort comme à son habitude une punchline à rallonge avec : « Alors je serai assez subliminal pour que nos petits comprennent, que la Gauche, le Centre, la Droite, c’est la même, c’est comme le changement de couleur sur les capsules d’héroïne, pour mieux tromper les boloss, comme l’a fait Stringer Bell, mais au fond la dope reste de la merde ». Peut-être la seule punchline engagée faisant référence à The Wire dans le rap français, on salue la performance.
Fababy dans Je préfère mourir : « j’préfère mourir come Stringer Bell-Bell que vivre comme Starsky ». On aurait préféré qu’il ne spoil pas, mais bon ce n’est pas bien grave.
Freeze corleone dans Sacrifice de masse : « A la tête de l’organisation j’me sens comme Marlo ».
Gradur est peut-être le rappeur français le plus matrixé par The Wire, en témoignent les très nombreuses références qu’il y fait dans ses textes. Tout d’abord, il a une musique nommée Stringer Bell, dans laquelle il dit : « O.G looking like Stringer Bell ». Ensuite il y a le son Balti dont le nom évoque la ville de Baltimore où se passe la série, et où il dit : « Comme Marlo on enquille les ients-cli et Mc Nulty devient fou […] Comme Marlo on ré-ti sur Carlo dans l’buffet […] On fait plus de biff que tes MC vas le dire à McNulty […] Omar dans la ne-zo […] Jvais lui bouffer la tte-cha, arracher son string, avant d’crever comme c’t’enculé de Stringer ». Dans Cherche la monnaie on a le droit à « Et comme Stringer Bell dans The Wire, j’ai cassé mes bipers J’ai cassé ma Jeep pour monter dans le Hummer ». Enfin dans Catchanababy (vous remarquerez au passage qu’Aya Nakamura n’est pas la première artiste à avoir utilisé cette expression dans une chanson), Gradur dit : « Chaque pote-ca pleine pleure marmot bel et bien bloqué dans l’embargo Stringer Bell est mort, a laissé Marlo des tonnes d’esclaves dans l’cargo ». Toutes ces références font de Gradur le rappeur français avec le plus de référence à The Wire, bravo à lui.
Kennedy a pour sa part une mixtape du nom de Sur Ecoute, en hommage à la série. Il dit aussi dans On s’arrange : « Appelle moi Marlo Stanfield, j’suis pas une balance ! ».
Koba la D dans Train de vie « Matrixé par The Wire, j’ai eu envie de bicrave ». La question est quand même ici de savoir comment The Wire a pu lui donner envie de dealer ? La série ne dévoile pas vraiment une vie très enviable pour les criminels.
Leto dans Avon Barksdale fait plusieurs références à la série : « Et McNulty enquête encore Et comme Marlo mon regard est vide […] J’me sens comme Barksdale […] J’ai laissé parler les cartouches, Omar est dans le secteur »
Nessbeal reste simple et efficace dans Ça bouge pas : « j’ai la classe à Marlo ».
Niro dans Le pochon s’est déchiré : « La rue nous tient comme Jax Teller, Stringer Bell Avon Barksdale ». A noter que Jax Teller est un personnage de la série Sons of Anarchy et non pas de The Wire.
Niska va à l’essentiel dans Medellin : « Marlo, gang ». Difficile de faire plus court comme référence.
Sadek dans Téteille « Dans le 93 on est Yamaha Baltimore Avon Barksdale »
Sameer Ahmad fait aussi plusieurs références à The Wire dans son album Perdants Magnifiques. Tout d’abord dans Genesis on entend les sifflements que Omar fait dans l’épisode 5 de la saison 1 (scène classique de la série). Ensuite sur Siwak il dit : « les autres c’est Omar Little mais sans l’imagerie thug », il faut ici comprendre que « les autres » sont juste homosexuels. Dans Deuxième du nom « Bilderberg façon Stringer Bell », et enfin dans Hale Boop « C’est la chanson de Babylone pour mes brothers Mouzone ». Brother Mouzone est un personnage iconique et très charismatique de The Wire.
Barack Adama de la Sexion d’assaut dit dans Melrose place « Ma vie c’est pas Melrose place, c’est pas non plus The Wire ».
Sofiane sur son remix de Boxe avec les mots dit : « Série d’punchlines à combos, Stringer Bell face à Tông Po ».
Même Soprano y fait une référence dans Fresh Prince : « Ils se prennent pour Barksdale, Stringer Bell, Quand ils prennent le micro, j’entends Jingle Bells ».
Tengo John a fait une musique que l’on pourrait quasiment considérer comme un hommage à la série. Le son s’appelle Fayette Mafia Crew, en référence au nom de la bande d’un groupe de jeunes dans la saison 4. Ainsi Tengo John y dit :
« Michael n’a pas lu la notice du flingue pour t’allumer […]
Le fils de Wee-Bey vraiment débile
Il pourrait vendre la dope sur eBay
J’ai chialé quand Bodie est mort
Mais pour le ressusciter j’appuie sur replay
J’ai choisi mon camp, j’suis un Barksdale
Mais dans l’business ils sont morts, donc R.I.P
Les maisons vaut mieux éviter
Le cimetière de Marlo everyday
[…] complémentaires comme l’étaient Michael et Duquan, Un dans les affaires, l’autre plus dans l’humain […] Si t’entends des sifflements c’est que j’arrive devant comme Omar Little ».
Et étrangement, cette musique semble être la seule dans laquelle Tengo John fait des références à The Wire. Il a tout donné d’un coup, c’est une technique comme une autre j’imagine.
Finalement, on termine cette liste avec Youssoupha qui nous dit dans Memento : « J’traîne avec Tywin Lannister, le lieutenant Cavanaugh Stringer Bell, Avon Barksdale et Tony Soprano ». On peut dire qu’il est très bien entouré.
Cette liste non-exhaustive vous aura permis, je l’espère, de comprendre à quel point l’empreinte de The Wire dans le rap français est grande. Elle semble être une source d’inspiration sans fin pour des rappeurs voulant affirmer à la fois leur puissance, et leur goût prononcé pour les bonnes choses. Pour mieux comprendre la réception de The Wire dans le rap français et en France en général, nous vous conseillons la lecture de l’ouvrage The Wire. L’Amérique sur écoute, de Marie-Hélène Bacqué et Lamence Madzou[2].
Bien évidemment, il est possible que l’auteur de cet article ait malencontreusement oublié certaines références que les rappeurs français ont pu faire à The Wire, et il invite de ce fait tout lecteur qui aurait remarqué un oubli à le lui faire savoir.
📝 Alexandre Regina
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[1] www.lesinrocks.com/2012/11/25/musique/booba-11326100
[2] Bacqué Marie-Hélène, Flamand Amélie, Paquet-Deyris Anne-Marie et al., The Wire. L’Amérique sur écoute. La Découverte, « Sciences humaines », 2014, 268 pages. ISBN : 9782707175984. URL : https://www-cairn-info.ressources-electroniques.univ-lille.fr/the-wire–9782707175984.htm