Prenez l’une des meilleures programmations rap, concassez la à renforts de pogos, assaisonnez abondement de Jupiler, saupoudrez le tout de poussière puis laissez cuire à l’étouffée pendant quatre bonnes journées. Voilà la recette qui fait des Ardentes l’un des moments les plus attractifs de l’année. L’édition 2019 n’a rien à envier à ses prédécesseurs : une affluence record, une météo clémente et de très bons retours dans l’ensemble. Néanmoins, force est de constater que de multiples défections et quelques accrocs sont venus enrayer la mécanique du festival.
Jour 1 : Le parc Astrid se couvre de milliers de festivaliers et déjà, Gunna prend d’assaut Wallifornia Beach. Le natif d’Atlanta entame son concert par Wit It avant d’offrir une performance de première qualité. Il interprète plusieurs de ses récents succès présents sur son dernier album, Drip or Drown 2. Il n’en oublie pas de performer ses « classics » tels que Drip Too Hard, Never Recover ou encore Space Cadet. Déjà les volutes de poussière s’élèvent, les pogos se forment et l’on peut affirmer que l’édition 2019 est réellement lancée. Gunna quitte à peine la scène que déjà la foule se presse pour rejoindre le Parc et PLK.
Là-bas nombreux sont ceux qui se sont hâtés plus tôt et qui attendent à l’ombre de grands platanes. Le rappeur d’origine polonaise, auréolé du récent succès de Polak, conquiert l’ensemble du public. Ce dernier entonne alors d’une seule et même voix Dingue, Monégasque, A A A ou encore Gozier. Ce fut l’un des meilleurs concerts de rap francophone du festival.
Pas le temps de souffler puisque Jok’Air instaure sa dictature à la Rambla. Alternant un rap empreint d’amour, du vécu de la cité autant que du turn up, Big Daddy Jok réalise un passage convaincant. Les aficionados de rap US durent ensuite patienter avant de pouvoir profiter du passage de Rich The Kid, en retard d’une demi-heure. Paradoxalement, la prestation du rappeur américain, bien que réduite à une trentaine de minutes, fût excellente. Des pogos à foison, et des bangers tels que Plug Walk, New Freezer ou encore TAlk tO Me, ont mis tout le monde d’accord.
Par la suite, certains décidèrent d’aller voir Aya Nakamura. Nous avons préféré, comme l’année passée, parcourir la « Route des saveurs », sorte d’alignement de stands entre les deux scènes principales. Force est de constater qu’il y a eu un renouvellement des stands et que la qualité est toujours au rendez-vous. L’affluence accrue, donnant lieu à des bouchons et des queues conséquentes, le festival est malgré tout spatialement bien réparti. Quelques bouchées et Jupiler plus tard, nous voilà à Wallifornia Beach avec de sérieuses attentes. Et pour cause, Ninho qui doit se produire pour la deuxième année consécutive n’a plus le droit à l’erreur. Après un passage soporifique lors de l’édition 2018, NI est venu défendre Destin qui cumule déjà plus de 230 000 ventes en France, quatre mois seulement après sa parution. Et tout s’est passé comme prévu. De Goutte d’eau qui a fait chavirer Wallifornia aux frissons sur Fendi en passant par Kinshasa, le Français impressionne. La performance est cette fois bien palpable.
Nous nous dirigeons ensuite à un entre endroit du festival. La scène du Parc est progressivement gagnée par l’obscurité. Seuls les néons du Bacardi bar, et les stands, éclairent la mer de festivaliers réunis pour lui. L’enfant de Paris Sud se produit pour la première fois sur scène après trois ans d’absence et un tour du monde. Ce soir il vient défendre son nouvel album. Mais il fait languir la foule par la diffusion d’une vidéo en guise de prélude. Il arrive fort sur les notes de Cheum. Nous avons vu de tout dans ce concert au public très éclectique. Interprétant Égérie, Mauvaise graine, Tempête, Humanoïde ou encore Tricheur en solo, Nekfeu est aussi venu bien accompagné. Ainsi, se produisirent 2Fingz, duo formé par Doums et Nepal, mais aussi Framal et Mekra. Nekfeu ne s’arrête pas là puisqu’il offre de quoi interpréter plusieurs morceaux à son acolyte de toujours Alpha Wann. Un concert placé sous le signe du partage en somme.
Jour 2 : Le deuxième jour c’est Alkpote qui ouvre le cercle. L’Empereur, appelé en dernier recours suite à un énième désistement, assène ses couplets aiguisés pour la deuxième année consécutive. Il n’a pas fait le déplacement seul : son protégé Luv Resval est venu avec lui. Ainsi, celui qui faisait les premières parties de Gucci Mane en 2017, partage désormais la scène avec une nouvelle génération.
Alors qu’une heure s’est écoulée, c’est au tour du très attendu SCARLXRD de prendre d’assaut Wallifornia Beach. Ce fut de loin le concert le plus violent de cette édition. Des pogos indénombrables remplis de festivaliers venus prendre du plaisir à se faire mal. Il y avait une réelle fusion entre le public et le natif de Wolverhampton et il ne fit jamais aussi chaud sur cette « plage ». Un grand merci à lui pour sa performance unanimement saluée par la foule. Hugo TSR, qui se produisait ensuite, offrit également un concert de bonne facture. Incisif, TSR fait figure d’original dans le paysage actuel du rap. Il s’attache à ce rap boom bap et à une voix dénuée de toute auto-tune. Au même titre, il fuit toute exposition médiatique et signe ici son unique concert de l’année. La nuit tombe et c’est au tour de Lacrim d’embraser Les Ardentes. La scène est comble et la performance millimétrée. Le public reprend avec ferveur Noche, A.W.A., J’suis qu’un thug ou encore Oh Bah oui. L’ambiance est si chaude que Lacrim avoue au public être touché par ce qu’il voit.
Dans un tout autre registre, les Black Eyed Peas, se produisent alors au Parc, en clôture de la journée. Le quatuor, devenu trio depuis le départ de Fergie, offre un retour dans le passé accompagné d’une scénographie moderne. Nous ne nous sommes pas trop attardés au Parc puisque Brodinski prenait les platines de la Rambla de minuit à 1h. Un set plus que réussi où trap et techno se sont mariées et ont clos ce riche vendredi.
Jour 3 : Une dose de Scarlxrd pour tout le monde, des côtes fêlées pour certains, des dents en moins pour d’autres. Les deux premiers jours ont déjà fatigué les corps des festivaliers, mais l’énergie est toujours présente. Josman ouvre les hostilités somptueusement et à sa suite Chilla délivre un concert réussi. Mais c’est bel et bien Sofiane qui retourne le premier le public du Parc. Tantôt tranchant sur Iencli, tantôt entraînant sur Khapta. Il sut allier les styles et les ambiances à la perfection. Il se permit même une reprise a capella de We Will Rock You avec pour percussion les mains des milliers de festivaliers. A sa suite Dosseh et D.A.V. s’emparent respectivement de Wallifornia et de la Rambla pour deux concerts riches en basses pour le premier et en guitare pour le second.
La deuxième partie de la journée s’annonçait mirifique au vu de la programmation : Booba, Ski Mask The Slump God, Heuss l’enfoiré, Vladimir Cauchemar ou encore Zola. C’est le concert de ce dernier qui est le point noir de cette édition. En effet, La Rambla apparaissait aux yeux de tous comme insuffisante par sa taille relativement aux succès enregistrés par le rappeur du Parc aux biches. Il faut reconnaître que Les Ardentes programme et assigne une scène aux artistes plusieurs mois avant l’édition. Or, Zola a conquis un public élargi suite à la sortie récente de Cicatrices, son dernier album.
La scène était déjà comble une heure avant son arrivée. Alors qu’il arrive sur Manger, les festivaliers étouffent tant ils sont serrés, les malaises s’enchaînent, les mouvements de foules se font dangereux et la sécurité est rapidement dépassée. C’est un réel imbroglio et l’organisation menace d’arrêter le concert si la pression ne redescend pas d’un cran : elle n’est pas redescendue. Et pour cause, il y a beaucoup trop de monde et les festivaliers n’y peuvent pas grand-chose. Les issues sont toutes fermées, le concert est subitement arrêté, Zola en reste pantois et c’est sous les huées du public qu’il s’achève.
Ski Mask a heureusement pallié cette déconvenue de la plus belle des manières. Le flow rapide et mélodieux du rappeur de Floride a emporté tout le monde. Nous étions des milliers à se jeter à corps perdu dans les gigantesques pogos formés sur Take a step back, LA LA, Nuketown ou encore Look At Me !. Car oui, Ski Mask était très proche du regretté XXXTentacion. Si bien qu’à chaque date de sa tournée mondiale, il reprend plusieurs de ses morceaux et ce fut pour notre plus grand plaisir qu’il fit de même à Liège cette année. Un passage magistral.
C’est déjà la troisième fois que la nuit tombe sur les Ardentes 2019. Lui c’est la deuxième fois qu’il se produit aux Ardentes après un passage singulier en 2017. Il est venu bien entouré comme Nekfeu deux soirs plus tôt : Dosseh le rejoint pour interpréter Infréquentables. Médine fait de même sur KYLL. Booba n’a laissé aucun temps mort. Il a imposé par sa carrure mais pêché par son absence vocale. En effet le Duc, bien qu’il ait réalisé un très bon concert, s’est plus souvent contenté de laisser chanter le public pour lui qu’il n’a chanté pour le public.
Jour 4 : Sunday evening, watch out the Ardentes behind you. La programmation était plus que convaincante sur le papier pour ce jour de clôture, mais rien ne s’est passé comme prévu. L’après-midi commence sans aucun accroc puisque RK ambiance Wallifornia. Il va même jusqu’à s’accorder un bain de foule. Kekra ne déçoit pas non plus à la Rambla. Rick Ross quant à lui délivra une performance qualitative sous tous points au Parc.
La première déconvenue de la journée, et pas des moindres, fut l’absence annoncée d’Offset et son remplacement par Vald, Niska et le DJ Bruxellois Todiefor. Certes Vald et Niska sont deux figures incontournables pour qui aime un tant soit peu le rap, mais c’est une déception. En effet, nombreux étaient les festivaliers qui n’attendaient que de voir le membre des Migos défendre le très réussi Father of 4 ici à Liège. De plus, Vald et Niska étaient déjà programmés l’année passée, Offset aussi, mais avec les Migos au complet et donc dans une optique bien différente. Néanmoins la journée était prometteuse puisque l’organisation avait eu l’excellente idée d’inviter GrandMaster Flash, pionnier du Hip-Hop, du scratch et du remix. Celui qui a fait ses gammes dans le Bronx des années 1970 doit donner une « master class » puis un set en clôture de Wallifornia Beach le soir. La master class est une grande réussite. La foule n’est pas venue en nombre, mais il y a suffisamment de monde pour que se mette en place un réel échange. Entre démonstrations techniques aux platines et anecdotes, la « master class » est ponctuée par des questions-réponses très enrichissantes qui finirent par enchanter un public qui applaudira plusieurs minutes à la fin.
À cheval sur la master class, Vald a déjà commencé un travail de sape impressionnant du côté de Wallifornia: il l’interrompt quelques instants à la demande de La Croix-Rouge qui décompte une trentaine de malaises. Vald donne beaucoup à son public malgré des problèmes techniques et ce dernier le lui rend en faisant de la scène un véritable maelström. Toujours aussi fort que l’année passée, il ne déçoit personne.
Une heure plus tard, c’est Hamza qui retourne Wallifornia à sa suite. Après un début timoré, Hamza a progressivement fait monter l’ambiance. Le plus américain des rappeurs belges déchaîna les festivaliers lorsqu’il interpréta Mac & Cheese avant d’enchaîner performance sur performance sur chacun des morceaux.
Aux Ardentes la nuit tombe une quatrième et pour toujours dernière fois au Parc Astrid. La foule se déplace à l’unisson vers le Parc pour parachever l’édition. Sur place c’est Koba la D qui est très attendu. Ses bangers déjà adoubés par les festivaliers et ses deux très bons passages au Splendid cinq mois plus tôt annonçaient un très bon concert. Malheureusement, l’ensemble du public va très rapidement déchanter. Koba se repose complètement sur le play-back et se contente d’ad-libs au plus grand regret des festivaliers qui s’ambiancent tant bien que mal. Heureusement, Niska qui venait clôturer l’édition apparaît sur scène à minuit. RR 9.1 en guise de transition, le rappeur d’Évry tranche d’entrée. Il enchaîne Charlie Delta, Matuidi Charo puis ses récents succès tels que Médicament. Nombreux furent ceux qui partirent au bout de quelques morceaux. En effet, GrandMaster Flash donnait un set à l’autre bout du festival et beaucoup avaient déjà vu le quasi même concert de Niska l’année précédente. À la surprise générale, ce n’est pas lui derrière les platines, mais Todiefor. Pour des raisons encore obscures, GrandMaster Flash a annulé son set. Cela a peut-être à voir avec la très très regrettable absence de Young Thug sur la même scène juste avant qui a occasionné des soucis dans l’agencement des passages.
En définitive, Les Ardentes 2019 ont offert un line-up sublime à un public bigarré par ses origines allemandes, belges, néerlandaises, suisses ou encore françaises. Des nationalités diverses, mais toutes rassemblées par cette envie de partager avec ses amis et des inconnus quatre magnifiques jours à Liège. L’édition est entachée de plusieurs déconvenues notables, mais le festival est de plus en plus incontournable sur la scène Hip-Hop européenne. Ceux qui aiment le Hip-Hop et les genres qu’il a enfantés savent où se rendre l’année prochaine.
Rédaction: Yoann Rogalski Photographie: Yoann Rogalski et Lancelot Simier