Exilé depuis quelques années à Los Angeles, Denzel Rae Don Curry est revenu dans la ville qui l’a vu grandir pour travailler, produire et écrire son quatrième album, ZUU. Ce projet, long de 12 titres et ne durant que 30 minutes, est un album coloré, intense, et efficace produit principalement par ses acolytes australiens de FnZ. C’est une ode à Miami, à sa musique, à ses artistes références et à ses plus beaux atouts : les plages, les block party, le soleil et ses basses hurlantes. Il n’en oublie pas néanmoins de rappeler que Miami est une des villes les plus inégalitaires des Etats Unis en en nous invitant dans un voyage entre le volet idyllique et festif qui ressort de cette ville et la profonde pauvreté qui y règne. Décryptage de cet hommage en douze titres à la ville Floridienne.
Un retour aux sources floridiennes :
Porté par deux singles, « RICKY » et « SPEEDBOAT », la promotion de l’album laissait présager un retour aux racines pour le Floridien et un projet plus festif que le précédent, TA13OO (« TABOO »), un album expérimental aux inspirations oscillant entre trap et métal, donnant un album profondément sombre et gothique malgré quelques rares pistes plus lumineuses.
Le contraste est saisissant dès le premier titre éponyme, « ZUU », avec un refrain chanté entêtant, des boucles musicales joviales et les basses qui résonnent. Voilà la recette floridienne que va développer Denzel Curry dans ce projet. Si il est revenu à Miami, c’est pour rendre hommage à cette ville qui l’a formé. Tout au long de l’album, le rappeur étale tout ce qui se fait de mieux musicalement à Miami et le condense dans des titres efficaces aux basses hurlantes et aux boucles entêtantes. Ce projet, c’est un clin d’œil aux pionniers du rap à Miami, allant d’artistes phares des années 90/2000 comme Trick Daddy ou T-Pain, à SpaceGhostPurpp, le mentor de Curry en passant par le baron du gangsta rap, Rick Ross. Ce dernier fait partie de la longue liste de rappeur de Miami invités sur le projet dans l’excellent morceau « BIRDZ », avec Ice Billion Berg sur l’énergique « CAROL MART », PlayThatBoiZay sur l’énervé et saturé « P.A.T », Kiddo Marv sur « WISH » et enfin le DJ Floridien, Sam Sneak, sur « SHAKE 88 ». Denzel Curry n’oublie pas son grand ami (et ancien coloc) XXXTENTACION, natif de Miami aussi, à qui il dédie deux lignes sur « SPEEDBOAT » (avec « My dawg didn’t make it to 21, so I gotta make it past 24 » ou « My dawg is gone and the result is to have my teflon » ) pour rendre hommage à ce grand artiste parti en 2018. Tout Miami, dans l’ambiance, les artistes et les influences, est réuni sur cet album, autour de Denzel Curry qui se positionne comme le leader de la nouvelle vague Floridienne après la mort de X.
https://www.youtube.com/watch?v=B0b0kC7AhXY
Au-delà de l’aspect festif promu par l’album, Miami est aussi présenté sous des jours moins lumineux dans les textes de Denzel Curry. Au fil des pistes, il développe un portrait contrasté de la ville, avec la misère ambiante opposée à la luxure démesurée présente dans certains quartiers et aux plages ensoleillées. Avant d’être une ville étendard de la réussite américaine et de la richesse ostentatoire, Miami est une ville touchée au cœur par la misère, les discriminations et le racisme. Cette face cachée de la ville est pointée du doigt tout au long de l’album, sur fond de fête et d’ambiance de block party. Si le rap de Miami est si festif, c’est parce que la vie y est dure. La population afro-américaine y a développé une musique pour danser, pour s’amuser et pour oublier les difficultés quotidiennes qu’elle subit. De manière plus explicite, Denzel Curry a été touché directement par ces difficultés. Son frère a été tué par un policier blanc, à la suite d’une interpellation musclée et non-contrôlée. Il a vécu dans la misère et s’en est sorti comme il pouvait, il a succombé aux appels de la drogue pour oublier le versant négatif de ZUU. Ainsi, un album sur Miami ne pouvait oublier ce pan primordial de la vie floridienne, chose qu’il n’a pas faite. Il dépeint ainsi sa ville, la misère, le besoin de s’évader par la drogue et la musique, les règlements de compte et l’environnement qui l’a vu devenir ce qu’il est aujourd’hui : un fier représentant d’une culture, un porte-parole d’une communauté et un artiste complet à la plume acérée et efficace.
En plus de montrer ces aspects négatifs de la ville, ZUU est aussi une visite guidée de celle-ci. Avec « CAROLMART », ou les différents interludes (« BUSHY B », « YOO ), on plonge directement dans l’univers Miami-esque de ZUU, ses marchés et son ambiance. ZUU est un voyage dans tous les recoins de Miami et de Carol City, Denzel Curry nous emmène chez lui pour comprendre ce qu’il a vécu, affronté et absorbé.
ZUU est donc un court album intense et festif qui dépeint Miami dans toutes ses formes, dans ses heures de gloire et ses joies mais aussi dans ses plus grands travers et désillusions. Denzel Curry est revenu aux fondamentaux pour livrer un projet efficace et condensé, au plus grand plaisir de ses fans, sans pour autant délaisser ses critiques d’une société discriminatoire et inégalitaire. Sur fond d’hommage et de fête, Denzel Curry n’oublie pas qu’il a grandi dans une ville profondément pauvre et inégale, qui l’a façonné et amené à ce qu’il est aujourd’hui. A 24 ans, il poursuit sa progression dans une carrière plus que maîtrisée, qui va l’amener sans doute à tutoyer les sommets du rap game américain. Maintenant, place au ZUU TOUR, durant lequel Denzel Curry va défendre sa musique et cet album en particulier, avec notamment un arrêt dans la Salle Wagram à Paris le 09 Décembre 2019. Billets déjà pris, j’attends maintenant avec impatience le show explosif du natif de Carol City, réputé pour ses concerts enflammés et ses performances débordantes d’énergie.
Vincent Colin