La parution d’un album de Kanye West est un événement pour deux raisons. La première, évidente, c’est l’apport qu’elle génère pour le Hip-Hop sinon la musique dans son ensemble. La seconde, qui tend à se banaliser, c’est les indénombrables reports et l’attente interminable qui en résulte. Et pour cause, les trois derniers projets de Ye sont parus en retard relativement aux annonces de ses producteurs, ses proches sinon lui-même. Jesus is King n’y a pas fait exception. Et tout comme dans ses projets depuis Yeezus, sa musique est empreinte de religiosité à ceci près qu’il a poussé la chose à son paroxysme.
Héraut christique, Kanye s’efforce de nous convaincre que Jésus s’est révélé à lui. Touché par la lumière il nous invite à emprunter le même chemin. Dans les faits, il matérialise son appel depuis janvier par des Sunday Services, sorte de culte inspiré des églises baptistes afro-américaines où s’entremêlent hymnes gospel, classiques de Ye et de morceaux de soul. Kanye y tait son égo et se fond dans les chœurs. Tels les camps meetings du XIXe, on y cherche la nouvelle naissance par le repenti de ses pêchés.
Après Yeezus le prophète, Pablo le disciple, Kanye assume musicalement sa born-again christianity. Ainsi, sur le magistral huitième morceau, God Is, il affirme “There is freedom from addiction/Jesus, You have my soul/ Sunday Service on a roll/ All my idols, let ‘em go/ All the demons, let ‘em know/ This a mission, not a show”. Il poursuit dans le morceau Hands On “ Told the devil that I’m going on a strike”. Cela ne fait que plus sens, au lendemain de son repenti public concernant son addiction passée au contenu pornographique ou tout simplement au sex, ainsi que ses engagements à être un meilleur humain, en commençant par l’être avec sa famille.
Kanye peut désarçonner par ses prises de positions, tant musicales que politiques. Néanmoins, force est de constater une continuité dans son œuvre musicale. Dès 2003, et son premier album, Ye nous gratifiait d’un “I want to talk to God, but I’m afraid because we ain’t spoke in so long”. Quinze ans plus tard, il renaît comme l’enfant de Dieu, cite des versets de la Bible et exprime de la gratitude envers Dieu en ce qu’il aurait offert au monde son unique fils. Ce parcours apparaît en réalité logique depuis Yeezus. Jesus is King serait l’expression de sa route vers Damas.
Le Christian Hip-Hop n’est pas né avec Ye, mais dans les années 1980 aux Etats-Unis. La volonté évangélisatrice y était déjà présente. Bien que longtemps ignoré par les labels car ne rencontrant pas son public, le récent Bible of Love de Snoop Dogg n’est que l’un des bourgeons de la vitalité qui coule dans ce genre musical aujourd’hui. Ce que lui apporte Kanye et son dernier projet, c’est une visibilité mondiale et de la crédibilité.
Cette dernière se ressent et s’observe parmi les talentueux musiciens, mixeurs, paroliers ou encore beatmakers dont il a su s’entourer. La présence inégale, mais bien réelle d’un triptyque de talents en rend compte. Le prometteur Pi’erre Bourne à l’instrumentale d’On God, Thimothy Mosley (Timbaland) à la production sur Water, Hands On, Use This Gospel ou encore Jesus Is Lord, et le méconnu mais non moins talentueux Federico Vindver à l’écriture et à la production sur l’entièreté de l’album, Follow God mis à part.
Jesus Is King rebutera possiblement les athées, décidera les agnostiques et confortera les croyants chrétiens. Ce qui est certain c’est qu’il ne laissera pas indifférent celui qui s’élancera dans son écoute. Alors que Kanye nous gratifie de ce projet, il s’apprête à sortir Jesus Is Born pour Noël. Espérons qu’il ne se perde pas à suivre les étoiles.
Yoann Rogalski