Seulement un an après le succès de « Xeu », Vald était attendu pour son nouvel opus, « Ce monde est cruel ». Avec une promo remarquablement bien menée, cet album était promis à faire d’excellents scores, ce qui n’a pas raté vu que « Ce monde est cruel » a été vendu à plus de 40000 exemplaires en 1ère semaine, juste derrière Nekfeu (avec « Les étoiles vagabondes) et PNL (« Deux frères ») sur l’année 2019. Cet album est aussi une vraie réussite musicale, tant par les sujets abordés, les sonorités que par la technique de Vald. Apparaissant comme sombres dans la promo et dans les thèmes développés, avec une cover et un single promouvant cet aspect de l’album, j’ai pu découvrir un album surprenant dès la première écoute, un projet dynamique et complet, dans lequel il prouve une nouvelle fois toutes ses qualités de rappeur.
[Cet article reflète bien sûr qu’une opinion, la mienne et n’engage que moi. Je suis ouvert à tout débat et remarque concernant l’album.]
Avant de s’attarder sur l’album en lui-même, il est important de considérer toute la communication et la promo faite pour cet album. Alors que pour Xeu, Vald avait proposé une promo assez large et ambitieuse, portée par un single entêtant et qui avait inondé les radios et plateformes de streaming, « Désaccordé », pour cet album il a proposé une toute autre forme de promo. Seul « Journal Perso II » est sorti en tant que single, quelques jours avant la parution de l’album. C’est un titre sombre et mélancolique, aux antipodes de « Désaccordé », donc et dans la lignée de la première partie de ce morceau « Journal Perso ». Accompagné d’un clip dans lequel Vald tuait des fans et une caissière d’une station-service, les choix du clip et du single questionnaient sur la teneur, les thèmes abordés et la direction artistique de l’album. Ce questionnement se justifiait aussi par la pochette extrêmement sombre de l’album, inspirée de l’affiche de « Apocalypse Now », sur laquelle il se cache dans une eau noire, le visage presque entièrement submergé avec seulement ses yeux qui dépassent, ce qui laissait supposer un album oscillant entre colère et tristesse.
Cet album pouvait aussi se décliner en 4 versions différentes, avec un titre exclusif sur chaque version et la possibilité de les précommander. Projet ambitieux, dans la mesure où ça partait de l’idée que la fan base de Vald serait prête à acheter des versions spéciales pour un seul titre exclusif, mais qui a porté ses fruits. En effet, seulement quelques jours après cette annonce, et alors que l’album et sa tracklist n’étaient pas encore sorti, les stocks des versions spéciales étaient déjà épuisés.
La promo menée par Vald pour la sortie de « Ce monde est cruel » était donc plutôt mystérieuse, sombre et opaque. Aucune tracklist ne sortait, seul la pochette et le titre laissaient présager un album sombre à l’opposé de XEU, mais Vald venait court-circuiter tout ça en faisant de la publicité dans 3 villes où l’album ne sortirait pas : New York, Dubaï et Tokyo. Sur 3 des plus grandes avenues au monde, Vald posait devant la pochette de son album avec un grand sourire, sur un gigantesque écran publicitaire. Conscient que cette pub ne le fera pas spécialement percer dans ces pays, pourquoi l’a-t-il fait quand même ? Dans des interview chez Clique ou pour Booska-P il explique que c’était simplement pour se faire plaisir et pour faire un coup de communication assez hors-norme. Dans une année où PNL louait la Tour Eiffel pour le clip d’Au DD, passait un partenariat avec UBER pour afficher « Deux frères » sur leurs voitures et que Nekfeu sortait un double album, « Les étoiles vagabondes » accompagné d’un documentaire sur Netflix et en salle, comme il le dit dans « Ignorant », « vas-y, moi aussi, j’vais louer la tour Eiffel. » Vald a voulu se mettre au diapason et faire monter la pression pour la sortie de l’album, ce qui n’a pas manqué.
Au-delà de la promo qui est une réussite à mes yeux, cet album est aussi un excellent projet de rap dans lequel Vald se renouvelle, innove et prend des risque. Après le succès de Xeu et de certains de ses tubes, aurait pu pondre un nouvel album dans la veine de Xeu, en approfondissant le côté commercial et s’assurer un succès dans les charts, mais il prend, à mon goût, le chemin inverse. Ce monde est cruel est album de rap de son temps qui s’inspire de ce qui se fait et s’est fait de mieux récemment.
Tout au long du projet, Vald démontre toute son habile verve, sa palette de flows, ses qualités techniques sans jamais donner l’impression de proposer un fouillis de rap ou de tourner en rond. Il synthétise ce qu’il sait faire de mieux, c’est-à-dire rapper, tout en élargissant le spectre de ses possibilités, comme en témoigne des pistes comme « Ma Star », sorte d’OVNI chanté, ou « No Friends », track mélancolique sur une prod’ lo-fi. Là ou j’avais trouvé XEU redondant, long et monotone, j’ai apprécié Ce Monde cruel comme un album divers, très complet, d’un excellent rappeur exploitant pleinement son potentiel. Des morceaux comme « Poches Pleines » ont été une réelle claque, pour la diversité des flows utilisés, « Ignorants », pour la violence du rythme et l’agressivité de la voix de Vald, ou « Royal bacon » pour l’amer douceur de son message et de la production. Vald jongle entre agressivité, douceur, ego trip et critique de la société, des prods trap, lo-fi ou plus old school pour un résultat extrêmement cohérent et qualitatif. J’estime que Vald a réussi à canaliser sa « folie artistique », qu’on avait vu sur la série des NQNT ou Agartha pour rendre un projet moins expérimental mais tout aussi riche.
Cette richesse est aussi dû à la qualité de la production. Il est impossible d’écrire sur cet album sans saluer la prestation de Seezy comme beatmaker et producteur sur la majorité des morceaux. Il arrive à trouver des sonorités diverses et riches, en se rapprochant de ce qui se fait dans le game américain, sans travestir le rap de Vald. L’alliance des deux, commençait maintenant depuis Agartha, donne un résultat terriblement efficace, qui laisse peu de places à un meilleur duo rappeur/producteur dans le paysage du rap français. Seezy vient donc consacrer le rap de Vald, avec des productions souvent très agréables, modernes et très efficaces
Enfin, le choix des feats, mis à part la classique présence de Suikon Blaz AD l’acolyte de Vald, a pu en surprendre plus d’un. A la vue de la présence de SCH sur deux morceaux (« Halloween » pour le refrain et « Dernier retrait »), j’étais intrigué et le mariage des deux univers m’a fasciné. Le S vient gratifier ces deux morceaux d’une touche différente, avec son flow et son rap si particuliers. Le morceau avec Maes « ASB » (comprendre Aulnay-sous-Bois), banger total, m’a marqué par la violence du rythme et des voix des deux rappeurs. Que ce soit pour les choix artistiques, les feats, les productions et les discours, Vald et son équipe ont élaboré un album surprenant, riche et divers qui marquera l’année 2019.
Vincent Colin