En octobre 2018, SCH dévoilait JULIVS. Premier projet à l’atmosphère lugubre de ce qui semble s’annoncer comme une trilogie, l’album se présentait comme un appel à la vie d’un personnage mythifié, inventé, noyé dans le monde des armes, des gangsters… 4e album de l’auteur, il fut certifié disque d’or une semaine après sa sortie, et platine six mois plus tard.
S’il a plongé l’identité musicale d’SCH dans une sorte de névrose lugubre, cela semble lui avoir réussi, puisqu’il s’est définitivement imposé comme un acteur incontournable du rap français.
Aussi la sortie d’un nouvel album présentait un certain nombre de défis : d’un côté, SCH avait laissé entrevoir la préparation d’un deuxième opus de JULIVS. Cependant, comme il l’a laissé entendre dans une interview pour OKLM peu avant la sortie du projet, il semble s’être tourné vers une sorte « d’album transitoire », où il pourrait s’extraire de la morosité ambiante de JULIVS pour proposer des sons plus colorés et extérioriser les non-dits. Le défi était donc de taille : proposer quelque chose de radicalement différent, sans laisser de côté l’esprit du projet précédent, qui reviendra en force dans quelques mois. A l’éclairage de l’album, ce défi est-il réussi ?
Les titres annonçant l’album, chargés d’attentes, présentent effectivement quelque chose de surprenant. Dans R.A.C, on découvre une partition très rythmée, un texte précis, au timbre habituel de l’artiste. Si le renouveau ne se situe pas dans l’écriture technique du morceau, il est plutôt à chercher dans l’esprit global qui s’en dégage : un texte qui tend vers l’égotrip, un refrain entraînant… et un clip qui met en scène la montée de l’artiste jusqu’au toit d’un immeuble. D’emblée, l’esprit du morceau laisse entrevoir un album moins froid.
R.A.C ne se prive pas d’un certain groove dans le refrain, que l’on retrouve à plusieurs moments, dans les instrumentales de Paye, d’All Eyes on me, ou encore Ca Ira. On se surprend parfois même à balancer la tête de gauche à droite, sur des couplets parfois saccadés, ou des refrains qui planent. Car c’est peut être là l’une des caractéristiques de l’album : une production instrumentale qui cherche comme à casser avec la noirceur de JULIVS pour proposer quelque chose de plus joyeux. Par-dessus, le texte ne se prive pas d’un rapprochement avec l’esprit de Ninho (qui intervient d’ailleurs dans un morceau) : une certaine forme d’égotrip, et des références permanentes au monde des armes, de la drogue, mais de manière plus libérée et contemplative que l’invocation du mal à laquelle on s’était habitué avec les précédents opus. Evidemment, cette relance sentimentale de la musicalité d’SCH atteint son paroxysme dans Baden Baden, tube haletant qui semble taillé pour les boîtes, où intervient notamment un Maître Gims puissant et assuré sur des textes rapides, comme à ses débuts.
Pourtant, cela n’empêche SCH de proposer des titres plus introspectifs, voire nostalgiques. C’est le cas dans Petit cœur, ou encore Tant pis, qui invoquent la tristesse, l’amour, les sentiments… D’une certaine manière, on retrouve mieux l’artiste dans ce genre de textes, ce qui permet, entre autres, d’assurer la continuité stylistique entre JULIVS et le prochain opus.
Ces deux caractéristiques une fois dégagées, d’un côté le groove et l’influence de l’égotrip, de l’autre la persistance d’une forme de nostalgie et de tristesse, permettent de dégager l’esprit d’un album radicalement différent du précédent, notamment en ce qui relève du jeu d’acteur. Comme l’a dit SCH dans son interview pour OKLM, il s’agissait ici, non pas d’incarner le personnage sombre mais inventé de JULIVS, mais plutôt de ranimer celui de Julien SCHWARTZER, depuis ses débuts ; forme de story telling plus réaliste. La dimension nostalgique a donc toute sa place ici, comme exprimé dans l’Interlude : « 600.000 albums plus tard putain qu’elle est loin la maternelle ».
Car Rooftop, c’est avant tout la thématique de l’ascension. Celle d’un enfant, relativement modeste, parti du bas de l’échelle pour accéder au toit du monde, à l’immense succès de sa carrière de rappeur désormais à son comble. En ce sens, le clip de R.A.C annonçait parfaitement l’album, puisqu’on pouvait y voir l’artiste monter les étages d’un immeuble pour accéder au toit. Mais l’album admet d’autres dialectiques : l’enfance de Julien SCHWARTZER, c’est aussi une enfance rythmée par les déménagements, une trentaine de fois selon lui. De ce point de vue, Rooftop incarne aussi le rêve d’un enfant, celui de crever le plafond de verre, et de s’échapper, d’accéder au toit, de prendre l’air, chose faite désormais étant donné le succès de la carrière du rappeur.
Alors si l’on devait dégager un bilan thématique de l’album, que dirait-on ? D’abord, le défi de la rupture-continuité dans l’esprit de l’album est absolument réussie. Le style d’SCH, conserve toute son originalité et sa force malgré une production musicale radicalement nouvelle. Enfin, en termes de textes, d’esprit, l’album laisse entrevoir quelque chose de plus positif, mais reste profondément marqué par une « addiction au mal », que l’on peut imputer aussi bien au personnage artistique de l’artiste qu’à son vécu personnel. Sur la cover, l’aspect paradisiaque du Rooftop compose avec la carcasse d’un avion écrasé ; comme si le bonheur, somme toute, devait à jamais composer avec la tristesse et la noirceur, dans un équilibre parfait.
Antoine Lebret