Validé: la série que l’on apprécie plus qu’à moitié

Véritable succès populaire en cette période de confinement, la série de Franck Gastambide est devenue en l’espace de quelques semaines une référence pour traiter du phénomène rap derrière l’écran. En séduisant à la fois les fans de rap et le grand public avec plus de 15 millions de visionnages, l’acteur-réalisateur de 41 ans a fait forte impression et envisage déjà d’exporter la série à l’étranger. Focus sur la recette d’une série 100% française entre BO remarquée, jeu d’acteurs imparfait et impact des réseaux sociaux.

Une mission complexe pour Franck Gastambide

Aujourd’hui, il n’est pas insensé d’affirmer que le rap est mal-aimé des séries françaises. Ce n’est pas le cas aux États-Unis, avec de nombreux biopics sur les rappeurs (All eyez on me / N.W.A – Straight Outta Compton / Get Rich or Die Tryin’), des séries fictions abordant le thème du rap (Unsolved / The Wire) ou encore des séries documentaires (Hip-Hop évolution). Un fossé considérable sépare la France des États-Unis dans la représentation du rap dans les films ou séries. Un retard que Franck Gastambide, fan incontesté de rap a décidé de compenser avec la mise en lumière de ce milieu si souvent décrié. La mission de l’acteur, réalisateur et scénariste n’était pourtant pas des plus simples car les attentes étaient nombreuses. Le réalisateur de comédies populaires (Pataya – Taxi 5) avait la lourde tâche de rendre visible le milieu du rap sans succomber aux clichés, le but étant d’être crédible et de satisfaire les rappeurs, les fans de rap mais aussi le grand public. Un pari en partie réussi grâce à un casting de haut niveau mélangeant acteurs confirmés, amateurs et invités de renom comme en témoignent les nombreux rappeurs présents de la série.

Pour cela le scénariste a imaginé une histoire mettant à l’honneur le parcours d’un jeune rappeur talentueux en quête de succès, face aux réalités d’un milieu rongé par les rivalités.

Pour jouer le rôle principal, Franck Gastambide a décidé de miser sur le rappeur Hatik pour son premier rôle derrière l’écran. L’idée était de choisir un rappeur peu connu de la scène française afin que le public puisse facilement s’identifier mais suffisamment connu néanmoins pour que les fans puissent se mettre dans la peau de ce rappeur si charismatique du nom du Clément Apash. Depuis sa banlieue ce dernier rêve de percer dans cet univers fermé qu’est l’industrie musicale. Il est alors soutenu par ses deux meilleurs amis, William apprenti manager très attachant et Brahim son community manager, amateur d’humour gras et maladroit dans un rôle très cliché. Deux rôles interprétés par deux néophytes, ce qui se ressent clairement dans leurs prestations mais n’enlève en rien à leur intérêt. L’épopée d’Apash commence dans le studio de Skyrock où performe la superstar à l’égo surdimensionné, le rappeur Mastar. Plus âgé et menacé par Apash, il n’entend pas se laisser dépasser par cette nouvelle star montante. Moussa Mansaly ou Sam’s nous délivre ici une vraie prestation d’acteur, dans la continuité de son passé dans le cinéma.

Une liste d’invités témoignant de la richesse et de la diversité du hip-hop français

Côté invité, Franck Gastambide a voulu ratisser large en s’entourant de grands noms issus de toutes les générations du hip-hop français. Il a pour cela fait appel à des rappeurs actuels qui ont pour certains un rôle fondamental dans le déroulement de la série afin de crédibiliser celle-ci au maximum. C’est le cas par exemple de Bosh qui interprète le rappeur Karnage dont le maître-mot est l’agressivité dans la série. Si son jeu d’acteur n’est pas optimal, ses freestyles séduisent. Justement, fin mars, le rappeur du 78 sortait son deuxième album Synkinisi salué par la critique. Autre invité de marque, El Tiguere Lacrim en rôle d’acteur et médiateur dans cette guerre d’égo du rap français. Franck Gastambide, dans un échange avec Mouloud Achour sur Clique talk, a même eu une anecdote à son sujet. « Lacrim fait pas du tout de cinéma, c’est réel ». Le rappeur serait venu sur le tournage accompagné de deux membres du cartel mexicain de Sinaloa pour éviter d’éventuels problèmes … Certains ont noté la présence de Ninho dans un épisode, petit clin d’œil du réalisateur à celui qu’il considère comme le meilleur de sa génération. D’autres invités d’une génération antérieure sont à remarquer, comme Soprano, utilisé pour son image de réussite selon Gastambide, ou encore Mac Tyer, l’un des pères du rap français.

À cela s’ajoute des artistes de la génération de Gastambide, à l’image d’un Kool Shen ou encore Busta Flex. Si ces derniers font une apparition très courte, elle a sans doute satisfait tous les amateurs de rap old school.

Tous ces rappeurs sont à retrouver dans la bande originale de la série présente sur toutes les plateformes. On y retrouve ainsi S.Pri Noir qui fait une courte apparition, auteur du morceau TKT avec Joe Dwet life avant la sortie de son album État d’esprit le 27 avril.

Ninho avec le morceau Pirate, Niro, Da Uzi ou encore Naza sont présents sur ce projet commun. Avec la bande originale de Taxi 5, Gastambide avait déjà marqué un grand coup en invitant les artistes les plus en vogue du moment. Vis repetita pour cette BO avec des morceaux entrainants collant parfaitement avec l’ambiance et les personnages de la série.

Comment ne pas mentionner les morceaux d’Hatik Prison pour mineurs, Dans la fusée, ainsi que le mythique FLK en featuring avec Sam’s. À noter que le rappeur a complètement changé de statut, il est passé de 200 000 auditeurs par mois à plus de 700 000 sur Spotify !

À l’avenir Gastambide a affirmé vouloir faire appel à Rohff alors indisponible pendant le tournage de la saison 1 ainsi qu’à d’autres rappeurs donnant leur autorisation.

La série met en avant l’impact ambivalent des réseaux sociaux et médias dans la carrière de rappeur :

D’un point de vue cinématographique, Franck Gastambide a privilégié une approche presque intimiste du milieu urbain afin de faire connaître au plus grand monde les ressorts de la musique la plus populaire de France. L’accession au succès d’Apash est conditionnée à la solidité de sa direction artistique incarnée par ses deux amis William et Brahim. Respectivement manager et community manager, ces derniers, bien qu’ils soient novices et inexpérimentés dans l’industrie, vont devoir prendre les meilleures décisions pour faire décoller la carrière de leur ami Apash et lui créer la plus belle image possible. Franck Gastambide a énormément mis l’accent sur l’importance de l’image des rappeurs, principalement véhiculée par les médias et les réseaux sociaux.

De la médiatisation, ou non, des relations entre les rappeurs à l’importance de présenter le rappeur sous son meilleur jour, la série fait comprendre au public que le succès d’un rappeur n’est pas seulement lié à son talent. De nos jours, un rappeur se doit d’être présent et actif sur les réseaux sociaux, le talent ne suffit plus. C’est essentiel, d’une part pour partager son actualité, et d’autre part pour communiquer directement ou indirectement avec son public. A maintes reprises dans la série, Brahim puis Inès demandent à Apash de sourire, de se montrer à l’aise en story sur Instagram ou encore en interview lors de son apparition à la télévision dans l’émission « Touche Pas à Mon Poste ».

Cependant, si donner une image positive est primordial, une autre vision se confronte à celle-ci dans la série. Pour beaucoup de rappeurs, notamment Hatik qui joue Apash dans la série, peu importe que le buzz soit positif ou négatif, l’important est l’on parle d’eux. Si l’on s’en tient aux péripéties rencontrées par Apash,  le clash avec Mastar, la fuite d’un son jugé “anti-français”, une bagarre avec Karnage, mais aussi la finalité du parcours du rappeur, à savoir un concert plein à craquer au Zénith de Paris, force est de constater que le buzz -positif comme négatif- n’a été que profitable à la carrière d’Apash.

Si Franck Gastambide souligne l’importance de la représentation publique d’un artiste dans la série, il adresse un tacle discret au traitement que réservent les médias au rap. Bien que le rap soit le genre musical numéro un en France, les médias traditionnels (notamment la télévision et la radio) caractérisent presque toujours la musique urbaine par des clichés désuets et racistes.

A travers la médiatisation du morceau jugé “anti-français” par CNews dans la série, il est aisé de comprendre que les médias semblent bien plus enclins à parler du rap lorsqu’il s’agit d’évoquer les antécédents douteux ou les faux pas d’un artiste plutôt que lorsqu’il s’agit de parler de la sortie de son album. Validé souligne la grande différence de traitement du rap entre les médias traditionnels et les nouveaux médias (Skyrock, Konbini, Mouv’, Booska p…). Cette différence peut essentiellement s’expliquer par la pluralité des publics visés par chacun des deux types de médias. D’un côté, on cherche à séduire le “français moyen” et de l’autre la jeunesse qui a un intérêt préalable pour le rap. Ce genre musical étant vulgairement attaché à des clichés racistes entretenus et relayés par les médias traditionnels, le fossé qui sépare les jeunes et les moins jeunes, le rap et les autres genres musicaux ne semble pas près de se combler.

Martin Ackermann

Merlin Le Berre

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