Le retour de SZA avec SOS: la personnification d’une génération plus que jamais malchanceuse en amour.  

Mathieu Lapeyre 

Cinq ans et cinq mois… Voici le temps séparant les deux derniers albums de Solana Imani Rowe aka SZA. Une période considérable qui a été le théâtre de changements majeurs dans la vie des fans, mais aussi l’occasion pour de nouvelles personnes de rejoindre la fanbase de l’artiste signée chez TDE. Comment expliquer qu’une absence aussi longue n’ait pas résulté en une perte d’intérêt des auditeurs pour son art ? 

SZA est une talent hors du commun ayant réalisé l’exploit de s’imposer comme référence, modèle et inspiration pour toute une génération. Pour cela, il ne lui a fallu qu’un seul album, sorti presque “de force” par Terrence “Punch” Henderson (président du label TDE) le 9 juin 2017. Intitulé CTRL, ce projet souvent cité dans la catégorie des “albums parfaits” est un game changer repoussant les limites stylistiques du RnB en proposant un son unique et intemporel. On peut facilement affirmer qu’il y a un avant et un après CTRL. 

Ce succès semble à l’époque de bon augure pour l’artiste de 28 ans. Cependant, la célébrité s’offre alors à elle comme a gift and a curse, devenant contre toute attente une source d’anxiété pour la jeune artiste manquant encore d’assurance et jouissant d’une fanbase hyper loyale malgré les longues périodes d’absence, mais aussi super exigeante envers la qualité de sa musique. Pendant cinq ans, chacun de ses posts sur les réseaux, de ses apparitions en public ou de ses prises de parole sont scrutés dans l’attente de l’annonce tant attendue: la sortie d’un nouveau projet. 

SZA prépare une édition deluxe de 'Ctrl' - ladepeche.fr

Néanmoins, cette période n’a pas été complètement silencieuse. L’artiste est apparue à 16 reprises en featuring (notamment sur All the stars avec Kendrick Lamar, Kiss Me More de Doja Cat, ou encore l’hypnotique Persuasive aux côtés de l’étoile montante de TDE Doechii), de quoi attiser encore plus l’appétit des fans. 

Ce contexte explique donc la longue et complexe genèse de SOS, son dernier album studio paru le 9 décembre 2022 à la suite d’un album rollout assez court et minimaliste. SZA revient avec un projet Pop/RnB alternatif de 23 titres (sélectionnés sur la centaine de sons réalisés en préparation de l’album). On y retrouve en featuring Travis Scott (déjà présent sur CTRL), Don Toliver, Phoebe Bridgers et Ol’ Dirty Bastard (membre fondateur du Wu Tang).

Comme un signe du destin, le projet est un véritable succès commercial et d’estime. Salué par l’ensemble de la critique, SOS réalise plus de dix fois les chiffres de CTRL en première semaine avec plus de 300 000 albums vendus ainsi qu’une prise d’otage des 10 premières places du TOP 100 Billboard pendant plusieurs semaines. 

BrookLille vous invite alors à plonger dans le cœur de ce projet introspectif et riche en émotions.

SZA ou le souhait d’être une personne “normale” et “spéciale” dans le même corps

Il s’agit tout d’abord de parler de la cover du projet. On y retrouve l’artiste de 33 ans contemplant l’horizon, assise sur un plongeoir perché au beau milieu d’un océan d’un bleu marine profond occupant la majorité de la photo. L’image est inspirée d’un cliché de 1997 mettant en scène la princesse Diana une semaine avant sa mort sur le Yacht de l’homme d’affaires Mohamed Al-Fayed. SZA a indiqué avoir choisi cette inspiration de façon à retranscrire à la perfection la sensation de solitude qu’elle a elle-même ressenti lors de la réalisation du projet. Cette métaphore fait écho à l’intro éponyme du projet démarrant par un appel au secour en morse.

SOS - SZA | la critique de Goûte Mes Disques

La narration de l’album tourne donc autour des doutes et insécurités de Solana. Alors que CTRL conte les histoires relationnelles d’une side girl excentrique rêvant d’être “normale”, SOS nous plonge au sein même des pensées les plus profondes de Solana, tiraillée entre la volonté d’être “spéciale” et l’envie d’être comprise. Elle nous invite à découvrir ses angoisses causées par sa foi en elle plus qu’instable et raconte les difficultés qu’elle rencontre à trouver l’amour face à l’ambiguïté des sentiments que lui font ressentir les hommes. Elle se demande comment surpasser ses penchants autodestructeurs, sa solitude et sa tendance à s’impliquer émotionnellement jusqu’à l’extrême dans toutes ses relations. La force de sa musique se retrouve alors dans sa capacité à transformer des récits super personnels en hymnes générationnels. 

Ces cinq ans de hiatus ont été l’occasion pour elle de se recentrer sur sa spiritualité. Néanmoins, derrière cette forme de maturité se cache de nombreuses failles l’empêchant de tourner la page sur ses relations passées (“I’m so mature, I’m so mature got me a therapist to tell me there’s other men, I don’t want none, I just want you”- Kill Bill). L’artiste donne l’impression d’être tourmentée entre sa volonté d’être dans une relation stable et la nécessité de poursuivre son travail d’introspection (“Bad as I wanna be yours, I can’t get with your program, Sex hittin’ like a slow jam, stick around ’cause I want to, Bad as I wanna keep focused, You remind me I’m imperfect and it sucks to admit, Nobody put that purpose in me like you do, still”- Love Language).

Toutes ces plaies amoureuses tendent alors à la rendre dépendante en amour et incapable de reconnaitre sa propre valeur (“Old nigga got curved, Goin’ back on my word, Damn, bitch, you so thirsty; Still don’t know my worth, Still stressin’ perfection, Let you all in my mental, Got me lookin’ too desperate” – Shirt).

SZA, "Shirt": The Best Beauty Looks from the Viral Music Video

Son habitude à constamment s’autocritiquer influe fortement sur son anxiété et la pousse à douter de tous ses faits et gestes. Sur Special, elle se livre sur son trouble dysmorphique du corps et admet l’impact psychologique des opérations chirurgicales qu’elle a réalisé dans le passé pour surmonter ses insécurités (“I wanted to be thick, now I wanna be thin, Heard Pilates is in, bash your windows out” – Special).

Dans l’excellent morceau de Pop alternative Ghost in the Machine aux côtés de l’artiste californienne Phoebe Bridgers, SZA parle du paradoxe de nos générations numériques enlisées dans un narcissisme ambiant, plaçant la volonté d’être parfait au dessus des valeurs d’humanité et de partage (Everybody wanna be beautiful, scared of the unusual, Scared of givin’ mutual respect, all that you hate,You reflect all that godlike, you forget how to love somebody, I hate everybody, I hatе everyone- Ghost in the Machine).

La dualité de la personnalité de SZA se retrouve dans ce projet. Alternant d’une ligne à l’autre entre Bad bitch et sad girl, SZA personnifie toute la contradiction d’une génération à la confiance changeante, obnubilée par les concepts de self-love à un instant T pour sacrifier toute forme d’estime de soi et courir après les partenaires toxiques l’instant suivant. (“Who need self esteem anyway ?” – Open Arms).

SZA's 'SOS' Tour Ticket Prices Have Fans Nervous For Beyoncé

Lorsque des sons comme Low ou Smokin on my Ex Pack nous présentent un penchant assuré et dominant de sa personne (“Got another side of me, I like to get it poppin’, But these bitches in my business got me outchea choosin’ violence”- Low), SZA chante ensuite l’incompréhension et la perte de repères animant la majorité de ses relations amoureuses sur Blind ou Snooze (“How you threatening to leave and I’m the main one crying?”- Snooze).

Cette peur du rejet influence également sa propre manière de gérer les situations de conflit. À la suite du magnifique couplet de Travis Scott rapant la promesse d’offrir le monde à celle qu’il aime sur Open Arms (“Over-solid, keep it concrete, I’ma bet it on you, a whole fee, Just don’t switch sides, I could fire piece your wrist, AP, Through the ups and downs and all the heat”- Open Arms, Travis Scott), SZA répond contre toute attente par le rejet de sa proposition, se rendant compte que ses tendances autodestructrices finissent constamment par gâcher ses relations (“I gotta let you go, I must, You’re the only one that’s holdin’ me down, You’re the only one holdin’ me down (Only one), ‘Cause I’m the only one that’s holdin’ me down”- Open Arms, SZA).

SZA : après cinq ans d'absence, son dernier album bat des records

L’artiste semble être en contradiction constante avec son environnement. Elle recherche les rapports charnels quand l’amour sincère se présente à elle, tend à adopter une posture paranoïaque et autoritaire lorsque ses sentiments tentent de prendre le dessus sur son obsession pour le contrôle, et finit constamment par courir après les amours impossibles (How am I supposed to tell you I don’t wanna see you with anyone but me? Nobody gets me like you, How am I supposed to let you go? Only like myself when I’m with you- Nobody Gets Me).

Elle apparait alors incapable de se satisfaire par elle même (All of the love I seek living inside of me, I can’t see, I’m blind- Blind). Finalement, la colonne vertébrale de l’album est le sentiment d’isolement ressenti par Solana, et ce peu importe sa façon de gérer ses problèmes.

La versatilité de SZA à son apogée sur SOS, un album complet  

Cet appel à l’aide met donc en avant le caractère super personnel voire intimiste de sa plume, à la fois poétique et crue, vulnérable et tranchante. SOS est une démonstration de versatilité. Elle revient avec des flows chantés à la cadence rappelant fortement des couplets de rap et mettant en valeur son contrôle de la respiration hors pair.

Impossible de ne pas trouver chaussure à son pied sur ce projet tant l’artiste semble avoir eu envie d’expérimenter des genres et styles différents. On retrouve des sons très RnB comme Love Language, des balades comme Gone Girl, Blind, ou Nobody Gets Me, des sons raps assez différents les uns des autres comme Smokin On My Ex Pack, Used ou Low, et même un son pop rock (F2F).

Il serait néanmoins réducteur de catégoriser de la sorte ces morceaux, tant sa musique se veut être un pont entre les influences. La force de SZA réside dans son imprévisibilité. Chaque morceau se vit comme un mini-film de trois minutes durant lequel l’auditeur se demande si la chanteuse va se mettre à rapper, alterner avec des mélodies ou partir sur une de ses envolées lyriques très peu articulées et sensuelles dont elle seule à le secret. 

Un album d’une qualité à des années lumières de ce qui se fait ces derniers temps dans l’industrie, mais… 

SOS traduit la volonté de l’artiste originaire du Missouri de faire un album plus ouvert, mettant en avant ses nombreux talents. Globalement, ce projet est moins cohérent que CTRL pour ce qui relève de l’univers et de narrative. Il apparaît comme un ensemble de pensées sincères et complexes quand CTRL donne l’impression d’être plongé directement dans le journal intime de Solana.

De plus, on peut regretter le fait que ce projet semble être sorti un peu à la hâte. En effet, SZA a annoncé un Deluxe pour bientôt le jour même de la sortie du projet. Par la suite, elle a déclaré en interview que certains artistes n’avaient pas envoyé leur couplet à temps pour permettre à certains sons d’être sur le projet. On peut également pointer du doigt le fait que certains sons soient en dessous du niveau général du projet (comme Conceited ou Too Late).

Néanmoins, ce projet reste une réussite, confirmant que SZA est de la trempe de ces artistes spéciaux dont l’histoire se souviendra comme des symboles de leur époque, justifiant un jugement plus sévère à son égard.

SZA Drops the Tarantino-Inspired "Kill Bill" Video

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